Résidence alternée – article du Point

Résidence alternée : ce qu’en dit un pédopsychiatre

Traiter les parents à égalité sert-il toujours l’intérêt de l’enfant ?

Réponses iconoclastes du professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent Bernard Golse.

PAR LAURENCE NEUER
Modifié le 13/08/2012 à 10:13 – Publié le 13/08/2012 à 08:23 | Le Point.fr

.La résidence de l’enfant est l’enjeu de conflits où s’entremêlent passion, vengeance et manipulation.
Doit-on laisser l’enfant décider ?
Peut-il s’en trouver fragilisé ?
Quel est l’âge « idéal » pour alterner les résidences ?

 

Bernard Golse, chef du service de Pédopsychiatrie de l’hôpital Necker.

Le Point.fr : Vous déconseillez la résidence alternée pour les enfants de 0 à 3 ans. Pourquoi et à quel parent préconisez-vous de confier l’enfant ?

Bernard Golse : Quand le bébé vient au monde, il y a plusieurs « chantiers » développementaux qui s’ouvrent à lui, dont celui de construire, avec les adultes qui prennent soin de lui, son sentiment de sécurité interne. Le système de l’attachement doit ainsi se mettre en place, dans le courant de la première année de vie de l’enfant, attachement qui permet au bébé de trouver la meilleure distance relationnelle par rapport à ses adultes de référence, ni trop près, ni trop loin, et de ressentir ceux-ci comme suffisamment disponibles en cas de besoin.

Une figure principale d’attachement s’instaure surtout pendant le premier semestre de la vie, une figure secondaire (au sens chronologique du terme) pendant le deuxième semestre et ensuite l’enfant organisera, au sein de ses différents lieux d’accueil collectifs, son système d’attachement à ses pairs, soit aux autres enfants. Les modalités d’attachement à la figure principale, à la figure secondaire et aux pairs peuvent être différentes, mais leur qualité et leur stabilité dépendent en grande partie de ce qui s’est d’abord joué avec la figure principale d’attachement. Et l’on sait que les enfants dont l’attachement n’est pas suffisamment « sécure » sont des enfants à risque du point de vue de la gestion de leurs émotions et de leur agressivité, de leur socialisation, voire de leurs compétences en matière d’apprentissage.

Il y a donc tout intérêt à laisser le temps au bébé, jusqu’à trois ans, de bien repérer sa figure principale d’attachement, avant de le soumettre à des alternances qui le séparent trop longtemps de la mère.

 

Il y a donc tout intérêt à laisser le temps au bébé, jusqu’à trois ans, de bien repérer sa figure principale d’attachement, avant de le soumettre à des alternances qui le séparent trop longtemps d’elle, étant entendu que c’est la mère – bien plus que le père – qui se trouve en mesure de fournir une figure primaire d’attachement suffisamment fiable, du fait de ses liens corporels plus étroits avec le bébé, et ceci depuis le temps de la grossesse elle-même. Quand le bébé vit avec ses deux parents, sa relation au père ne le sépare pas de sa relation avec sa mère, et la situation est donc profondément différente.

Après trois ans, mais certains auteurs disent après quatre ans, le système de l’attachement se trouve désormais bien instauré, et quand l’enfant se trouve séparé de l’un des deux parents, il emporte dans sa tête, c’est-à-dire dans ses représentations mentales, une trace assez précise et stable pour pouvoir s’y référer mentalement sans se sentir décontenancé, sans éprouver de désarroi. La résidence alternée devient alors possible sans risque particulier de fragilisation de l’enfant.

L’absence de dialogue entre les parents est-elle un obstacle au partage des résidences ?

Bien évidemment, mais en cas de divorce ou de séparation, cela est, hélas, plus que fréquent ! L’absence de dialogue, qui s’accompagne souvent de phrases négatives ou hostiles de chaque parent à l’égard de l’autre, ne peut que saper les bases d’un attachement « sécure » en faisant perdre à l’enfant sa confiance envers chacune de ses images parentales. L’enfant doit pouvoir ressentir que chaque parent respecte l’autre et c’est seulement à ce prix qu’il pourra aimer chacun d’eux différemment et sans culpabilité.

L’enfant n’aime pas mieux le parent qui lui sert de figure d’attachement primaire que celui qui lui sert de figure d’attachement secondaire, il les aime différemment et chaque parent doit pouvoir l’accepter sans crainte. Ceci suppose, en réalité, que l’adulte ne soit pas envahi par la représentation de l’enfant qu’il craint d’avoir été, et qui le renvoie éventuellement à la représentation d’un enfant vulnérable et qui n’aurait pas supporté la séparation de ses propres parents.

 

Que recouvre ce fameux « syndrome d’aliénation parentale » ? Comment en mesurer l’impact sur le comportement de l’enfant ?

L’invocation de plus en plus fréquente du syndrome d’aliénation parentale pose un grave problème. Ce concept qui ne repose sur aucune base scientifique concernant sa définition, son étiologie ou ses critères de diagnostic sert le plus souvent à camoufler l’agressivité et les carences parentales, voire des maltraitances, sous les oripeaux d’une fallacieuse scientificité. Contrairement à toute explication simpliste, les facteurs qui amènent un enfant à refuser ou rejeter un parent sont multiples et rarement dus à la seule manipulation du parent que l’enfant soi-disant préfèrerait. La résidence alternée ne saurait avoir d’effet à elle seule sur ce problème qu’elle ne pourrait éventuellement qu’aggraver.

La parole de l’enfant lorsqu’il est entendu est-elle un indicateur précieux de son souhait et de son intérêt objectif à résider avec l’un et/ou avec l’autre de ses parents ?

Il ne faut pas tout confondre : certes, l’enfant ne doit pas être placé en situation de toute-puissance, et il a besoin que les adultes décident certaines choses pour lui et lui fixent des limites. Mais l’enfant a cependant le droit de s’exprimer quant à ce qu’il est capable de supporter. Si l’on veut qu’il soit acteur de son propre développement, encore faut-il écouter ce qu’il a à nous dire. Dans certains cas, il faudra lui expliquer que sa position n’est pas recevable parce qu’elle met son développement en danger, dans d’autres cas, il sera possible d’être d’accord avec lui, ce qui ne signifie en rien lui obéir, mais seulement être en accord avec lui.

Ce qui importe, c’est que les réponses de l’adulte prennent en compte le point de vue de l’enfant, et si on doit le forcer à telle ou telle solution qu’il ne souhaite pas, il faut pouvoir lui dire que l’on sait et que l’on comprend que cette décision est difficile pour lui mais qu’on ne peut, hélas, faire autrement.

Laisser l’enfant choisir lui-même un système de résidence non alternée risque de le culpabiliser gravement, car il peut avoir le sentiment qu’il « choisit » un parent au détriment de l’autre. Et le laisser choisir un système de résidence alternée peut l’angoisser, en lui faisant penser que c’est à lui de prendre en compte ou de porter une fragilité de ses parents. Dans un cas comme dans l’autre, le laisser choisir risque de lui faire peur en le confrontant à une apparente toute-puissance de sa parole. Le choix revient sans conteste aux parents, sauf avec les adolescents, pour lesquels une certaine souplesse peut être bénéfique.

 

Quels sont les cas (cliniques) les plus délicats ou douloureux que vous rencontrez dans le cadre des séparations conflictuelles ?

Ou consensuelles… De plus en plus de cliniciens observent des enfants qui vont mal en résidence alternée, y compris lorsque les parents ont choisi ce mode d’hébergement de façon consensuelle. Ils constatent que la perte répétée des personnes et des lieux peut avoir en elle-même un effet traumatique sévère et durable. La résidence alternée ne peut en effet se penser que dans des conditions bien précises, quant à un rythme raisonnable d’alternance et quant à la proximité du domicile des deux parents. Mais surtout à la condition que cette mesure soit souhaitée, en bonne intelligence, par les deux parents simultanément, et que l’enfant par ailleurs la supporte.

L’un des cas les plus douloureux que j’ai eu à rencontrer concernait un enfant de moins d’un an qui se trouvait « condamné » en quelque sorte à effectuer deux fois par semaine des allers et retours en train de près de 500 km dans chaque sens ! Qui peut considérer que ce type de décision soit au service de « l’intérêt premier de l’enfant » ?

 

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